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mardi 2 octobre 2012

Moi, président de la République, européen et écologiste

Le premier ministre devait s'exprimer sur l'Europe, mardi 2 octobre. L'exercice
est attendu tant l'Europe a été absente des campagnes présidentielle et
législative. Dépassant la modestie qui nous caractérise, nous avons décidé
d'écrire le discours non autorisé de François Hollande .

Chers compatriotes,

Dans la crise que nous traversons, les conservatismes institutionnels,
industriels ou culturels, les rentes et les privilèges, les chantages à l'emploi ou à
l'abandon de souveraineté, mais aussi les habitudes de chacun d'entre nous,
pèsent plus lourdement que les perspectives de changement, les dynamiques
économico-écologiques nouvelles, les constructions démocratiques et sociales
innovantes. Quand une partie de la population est durement frappée, quand la
majorité se sent vulnérable et en perte de repères, quand l'avenir apparaît
menaçant, le passé est embelli, le repli sur l'entre-soi rassure, le souverainisme
soulage, l'ouverture fait peur. Alors l'Europe s'éloigne. Les populismes de droite
et de gauche s'engouffrent dans la brèche et trouvent en l'Europe un bouc
émissaire facile.

Notre responsabilité est lourde. L'Europe est ce que ses dirigeants en font mais
elle doit surtout devenir ce que ses citoyens en veulent : ambitieuse dans son
projet de société émancipateur, politique pour consolider la paix, protectrice des
droits fondamentaux, solidaire avec les peuples du Sud, équitable avec ses
fonds structurels et ses politiques sectorielles, comme la politique agricole commune.

Moi, président, je vous dois la vérité. La France est une grande nation. Mais son
droit de veto au Conseil de sécurité ne doit pas nous duper . Elle ne pèsera à
l'avenir sur les affaires du monde qu'à travers l'Europe.

Si la France conserve de solides marges de manoeuvre, l'Europe est la bonne
échelle pour apporter des réponses efficaces à la spéculation financière, à la
concurrence et à l'évasion fiscale, à la désindustrialisation et à la régression
sociale, comme au dérèglement climatique, à la raréfaction des ressources ou
à la dégradation de la biodiversité. Elle est notre horizon démocratique
puisqu'elle peut nous donner , si nous le souhaitons, la capacité d'agir
collectivement sur le réel, au service de l'intérêt général et de chaque citoyen.

Moi, président, je veux dessiner un projet pour l'Europe, convaincre qu'il existe
un chemin. Moi, président, je porterai le projet d'une Europe parlementaire, dont
la Commission sera issue des élections européennes et deviendra pleinement
comptable devant le Parlement européen et le Conseil. Dans l'immédiat, je
proposerai à mes collègues que le prochain président de la Commission soit
l'une des têtes de listes européennes aux élections de 2014.

Moi, président, je défendrai une souveraineté économique partagée entre le
Parlement européen et les Parlements nationaux afin que les citoyens soient
pleinement représentés dans les choix économiques et budgétaires. Dans
l'immédiat, je demanderai au premier ministre de présenter devant l'Assemblée
nationale et le Sénat les positions défendues par la France avant chaque
conseil européen.

Moi, président, je proposerai de remplacer le pacte de stabilité par un pacte de
soutenabilité hissant la convergence environnementale et sociale au même rang
que la convergence économique, budgétaire et fiscale. Dans l'immédiat, je
soutiendrai l'initiative d'un fonds social européen d'assurance chômage pour les
pays en difficulté.

Moi, président, je défendrai un meilleur équilibre entre la nécessaire discipline
budgétaire et les indispensables investissements économiques. Dans
l'immédiat, je soutiendrai la proposition du président du conseil italien, Mario
Monti , d'exclure les investissements d'avenir du calcul des déficits structurels.

Moi, président, je me battrai pour l'harmonisation fiscale à l'échelle de l'Union.
La concurrence fiscale interne est le pire ennemi d'un modèle social européen.
Je proposerai une convergence des taux d'imposition sur les société s, avec un
minimum européen de 20 %, dont 5 % directement reversés au budget
européen.

Moi, président, je défendrai la perspective d'un véritable budget communautaire,
allant vers 5 % du PIB européen à l'horizon 2025, qui nous donnera les moyens
d'une solidarité forte entre les territoires et les citoyens et permettra d'engager
une transition écologique rapide de notre économie. Dès 2013, je défendrai une
augmentation très substantielle des ressources propres de l'Union : une taxe
sur les transactions financières et une taxe carbone aux frontières devront être
instaurées.

Moi, président, la lutte contre le dérèglement climatique, la préservation des
ressources naturelles et la réduction des pollutions deviendront des priorités
européennes. Ce sont de puissants leviers pour la compétitivité de l'économie.

Moi, président, je proposerai la création d'une Communauté européenne de
l'énergie. Dans l'immédiat, je ferai de la lutte contre la précarité énergétique
dans les logements et les transports la priorité de la relance économique
européenne.

Moi, président, je soutiendrai une réforme de la politique agricole commune et
de la politique commune de la pêche favorisant les pratiques durables, l'emploi,
la préservation des ressources, la solidarité et la qualité des aliments. Dans
l'immédiat, je mettrai la France en conformité avec les directives européennes,
dont celle sur l'eau, et je favoriserai l'adoption d'une directive cadre sur les sols.

Moi, président, je défendrai la mise en place rapide d'une politique industrielle
commune privilégiant les biens, les services et les processus de production
durables. Dans l'immédiat, je proposerai de qualifier l'accès au marché
européen selon des critères sociaux et environnementaux et d'introduire la
préférence géographique dans les marchés publics afin de favoriser
l'émergence des PME sur les territoires.

Moi, président, je défendrai la naissance d'une politique européenne de défense
, mettant en commun nos outils et nos moyens. Dans l'immédiat, je proposerai
de rallier l'initiative de Barack Obama d'un désarmement nucléaire multilatéral.

Chers compatriotes, la voie européenne est étroite. J'en connais les difficultés et les contraintes, mais je sais qu'il n'y en a pas d'autres. Trop longtemps, l'Europe s'est faite sans vous. Avant et après chaque sommet, je viendrai présenter devant vous les positions que j'y défendrai et les résultats obtenus. L'Europe, c'est maintenant !

José Bové, Daniel Cohn-Bendit, députés européens (Groupe des Verts)
publié dans le Monde du 02/10/12